Les apparitions nocturnes de Phra Upakut

Celles et ceux qui traîneront dans les rues de Chiang Mai un mardi soir de pleine lune risquent d’être quelque peu surpris : une cérémonie d’offrandes nocturnes aux moines réunit à chaque fois des centaines de pratiquants bouddhistes en l’honneur de Phra Upakut (พระอุปคุต en thaï). Les dévots sont tout de blanc vêtus face aux moines et leur robe orange. C’est là un rite propre au pays Lanna.
En 2023, la première des cérémonies nocturnes aura lieu dans la nuit du mardi 4 avril 2023.
On vous donne ici les éléments pratiques pour assister à cette cérémonie religieuse organisée en pleine nuit. De plus, nos informations sont pour le moins intéressantes pour qui veut mieux comprendre les croyances bouddhistes.
Phra Upakut est représenté dans moult temples du nord de la Thaïlande, assis en position méditative, les mains sur son bol d’aumônes, coiffé de sa feuille de lotus, le visage souriant, légèrement renversé. Mais qui donc était ce saint homme ?

Son existence relève plus de la légende que de l’histoire. Mais en Asie histoire et légende se confondent bien souvent. Phra Upakut (en sanskrit, Upagupta Thera) était un sarvāstivādin, un moine bouddhiste de la forêt (un courant dont nous vous parlerons un jour). Il vécut au nord de l’Inde au IIIe siècle avant J.-C. sous le règne de l’empereur Aśoka, grand protecteur du bouddhisme. Notez qu’Upagupta Thera n’est jamais mentionné dans le canon pāḷi. Ici en Thaïlande, sa légende est incluse dans le Phra Paṭhamasambodhikathā, un récit populaire jātaka (mot sanscrit qui décrit les histoires des naissances antérieures du Bouddha historique). On le retrouve également dans d’autres manuscrits du Lanna – le nord de la Thaïlande et au-delà.

Histoire et légendes
Retenons deux légendes à son sujet. La première, la plus troublante, a trait à sa naissance miraculeuse : il serait ainsi le fils du Bouddha historique et d’une sirène. Connu sous le nom de Bua Khem, nom signifiant aiguille tranchante en référence à la tige de la feuille de lotus qui recouvre sa tête sur presque toutes les statues qui le représentent. Selon cette légende, il a été conçu quand une sirène a ingurgité accidentellement du liquide séminal du Bouddha qui s’est détaché pendant qu’elle lavait ses robes dans une rivière.
Un moine né du liquide séminal du Bouddha !
Autre légende sanskrite ayant trait à ses vies passées : Upakut aurait été le fils d’un parfumeur et l’un des premiers adeptes du Bouddha. Un arhat – un saint – doté de grands pouvoirs magiques. Avant que le Bouddha n’entre dans le nirvana, il demanda à Phra Upakut de rester en vie jusqu’à ce que l’Éveillé devienne Maitreya, la seconde venue historique du Bouddha. Ayant pour mission de protéger la sangha – la communauté bouddhiste – et le dharma – l’enseignement du Bouddha. Aussi, les Thaïlandais croient que Phra Upakut est toujours vivant, résidant dans un palais en cristal du Grand Océan (ce qu’un chrétien appellerait le Paradis), flanqué de sa coiffe de lotus.
Et c’est précisément cette seconde légende qui explique la cérémonie dont il est question aujourd’hui, semblable à l’angélophanie chrétienne. Ainsi, Phra Upakut, à la neuvième pleine lune de l’année, arpenterait les rues en tant que moine quérant l’aumône. Le premier dévot à faire une offrande sera béni de sa bonne fortune… pourquoi pas à de Chiang Mai !

Assister aux cérémonies religieuses nocturnes
Selon la dénomination complète lanna, c’est une cérémonie nocturne qui n’a lieu que lorsque la pleine lune du mois se déploie dans la nuit du mardi au mercredi. Ce qui arrive deux ou trois fois par année. C’est alors que des cérémonies bouddhistes sont organisées en divers lieux de la ville, et même bien au-delà. Chants, sermons et autres prières débutent généralement vers 22h et les offrandes de nourriture à des dizaines de moines à même la rue se font après minuit (à minuit et une minute pour être précis). Des centaines de moines participent à l’événement dans les temples les plus importants. La cérémonie est appelée ตักบาตรเป็งปุ๊ด (tak bat peng pud, en langue du nord) ou ตักบาตรเที่ยงคืน (tak bat thiang kuen, en thaï, thiang kuen signifiant minuit). C’est là une tradition typique du Lanna – l’ancien nom du royaume du nord – que l’on vous invite vivement à découvrir.

Ici à Chiang Mai, le lieu emblématique où se rendre est bien entendu le temple bouddhiste qui porte le nom du saint, soit le Wat Upakut (วัดอุปคุต), qui se trouve sur la route Tha Phae, après le pont Nawarat, à gauche en allant vers la cité fortifiée (« le carré »), et donc au nord du fameux Night Bazaar. Ce temple, fondé au XIVe siècle, accueille la cérémonie la plus importante (emplacement et page Facebook; plus de site web à notre connaissance).
Parmi d’autres temples, le Wat Suan Dok (วัดสวนดอก), là où sont érigés les tombeaux royaux du Lanna, organise lui aussi cette célébration nocturne. Attention ! Ici la cérémonie débute habituellement à 20h alors que les offrandes aux moines se font à minuit une (emplacement, site web et page Facebook).
Ce sont là les deux temples principaux où se déroulent les cérémonies les plus populaires du tak bat peng pud en ville de Chiang Mai.
Cérémonies de l’année 2020
Hélas, trois fois hélas, les cérémonies d’offrandes à minuit (dans la nuit du mardi 5 au mercredi 6 mai 2020) sont toutes annulées en raison des restrictions liées à la pandémie du Covid-19. Les offrandes peuvent cependant être effectuées le matin du mercredi 6 mai 2020 au Wat Upakut où – en principe – la distanciation sociale sera appliquée (désinfection des mains à l’entrée du temple, distance de sécurité à respecter et port du masque obligatoire).


Celles et ceux d’entre vous qui désiraient assister à cette cérémonie religieuse auront dû patienter jusqu’au… mardi 1er septembre 2020, seconde et unique date du calendrier lunaire où tak bat peng pud est organisé cette année. Mais hélas, tout est annulé en ville de Chiang Mai, malgré une tradition séculaire.
Quant au Wat Suan Dok, autre lieu où est attendu Phra Upakut durant la nuit, il a mis en suspens toutes ses activités religieuses. Ce devrait également être le cas de tous les autres temples qui organisent habituellement ce rite (voir la liste ci-dessous, dans le paragraphe des éditions 2019).
Notons encore que des temples de moindre importance disséminés dans la province organisent malgré tout cette cérémonie nocturne. C’est par exemple le cas, entre autres temples, du Wat Buak Krok Luang (วัดบวกครกหลวง) qui vous attend dès 23h39 ! C’est le temple situé à côté du complexe hôtelier de luxe Dhara Dhevi, à l’est de la ville, peu avant Bosang, ici.
Ailleurs dans le nord thaïlandais, une grande cérémonie est annoncée à Chiang Rai, ce mardi 1er septembre 2020 donc. Elle a lieu dès 13h30 (jusqu’à minuit passé) et inclut une parade en costume traditionnel. Plus d’infos sur cette page Facebook (c’est bien sûr en thaï).
Lampang célèbre malgré tout le tak bat peng pud, au grand dam du Covid-19. Comme par exemple à l’Université Thammasat (มหาวิทยาลัยธรรมศาสตร์ ศูนย์ลำปาง, ici) : prières dès 21h, cérémonie religieuse dès 23h et aumône à minuit.
Ce qui nous fait dire que le SARS-CoV-2 semble moins virulent à Chiang Rai ou à Lampang qu’à Chiang Mai, dans un pays où il ne sévit officiellement pas, les frontières étant hermétiquement fermées…
Un moine très vénéré dans tout le Lanna

Phra Upakut est une figure importante en Birmanie, au nord de la Thaïlande et au Laos, soit la région de ce qui était jadis le royaume du Lanna. Divinité bienveillante possédant de grands pouvoirs magiques, elle protège contre tous les maux et les dommages physiques; ses auspices sont censés attirer la richesse.
La Thaïlande étant le pays des amulettes, vous comprendrez dès lors que Phra Upakut est souvent représenté sur celles-ci, objets sacrés à qui la population attribue des pouvoirs magiques. Le bouddhisme siamois, qui s’inscrit dans l’école du bouddhisme theravāda, s’accommode de cette particularité… hérétique s’il en est !

Qui sait, peut-être qu’en plus de voir les nombreuses représentations de Phra Upakut dans les temples du nord de la Thaïlande, vous rencontrerez ce saint homme un mardi soir de pleine lune, transformé en moine mendiant…
Si vous n’êtes pas à Chiang Mai durant cette cérémonie nocturne (les dates varient selon les explications ci-dessus), vous aurez tout de même la possibilité de participer aux aumônes matutinales. Elles sont en effet quotidiennes, comme partout en Thaïlande. Il suffit de vous promener aux abords du temple le plus proche, généralement avant 7h du matin. À Chiang Mai, beaucoup de dévots se rendent au pied du Doi Suthep, là où a été construit un sanctuaire en hommage au moine le plus vénéré du nord de la Thaïlande, Khruba Siwichai (vous en saurez plus sur ce moine au caractère bien trempé en lisant notre article Khruba Siwichai, le saint homme de Chiang Mai). Autres endroits pour observer de telles offrandes aux moines : les marchés matinaux. Notre partenaire, le Swiss-Lanna Tour, organise avant l’aube un circuit hors des sentiers battus, que peu de touristes effectuent : vous serez là au contact du bouddhisme vécu par les Thaïlandais. C’est accompagné d’un ancien moine bouddhiste, Khun Wet, que vous assisterez à la cérémonie d’offrandes matutinales au haut du très vénéré Doi Suthep. En savoir plus.

Pour aller plus loin – Conseils de lecture
Peut-être que la pratique du bouddhisme vous attire. Si tel devait être le cas, le mieux est d’entamer une retraite dans un temple (celle de 10 jours a les faveurs de nombreux adeptes). Nous consacrerons un jour un article à cette pratique. À défaut, commencez donc par lire des ouvrages en lien avec le bouddhisme, une religion qui, sans être prosélyte, attire beaucoup de sympathisants occidentaux. On vous conseille ici quelques lectures introductives, omettant volontairement les ouvrages faisant référence à d’autres écoles du bouddhisme, telle le Véhicule du Diamant cher aux Tibétains ou le zen que pratiquent les Japonais.
Tout d’abord l’Introduction à l’enseignement du Bouddha et à sa pratique de Michel Henri Dufour, un auteur affilié à la tradition Theravâda de la forêt propre à la Thaïlande. Vous touchez là à l’enseignement de l’École des Anciens, l’essence du bouddhisme. Beaucoup de personnes sont venues au bouddhisme par la lecture de L’Enseignement du Bouddha – D’après les textes les plus anciens, best-seller de Walpola Rahula. Si vous optez pour une vision d’ensemble non dénuée d’humour, Le Bouddhisme Pour les Nuls est fait pour vous (version poche). Édition plus récente fort appréciée elle aussi, 50 notions clés sur le Bouddhisme pour les Nuls est l’œuvre de Marine Manouvrier, professeur au riche bagage académique. Un ouvrage clair et concis.
Il nous semble intéressant de savoir comment se vit le bouddhisme au quotidien. Et qui mieux que Fabrice Vidal sait transmettre et son expérience et ses connaissances ? Comment être bouddhiste ? C’est là le titre d’un livre que nous vous recommandons. Vous pourrez ensuite poursuivre avec le coffret Pratique de la méditation (il contient un livre, un CD audio et un DVD). Dans le 3e ouvrage présenté ici, Fabrice Midal nous parle de son expérience – ce que vingt-cinq ans de méditation lui ont appris. Un livre au très beau titre : Frappe le ciel, écoute le bruit.
Ce sont là des références destinées aux personnes désirant s’initier au bouddhisme (et non pas à celles déjà versées dans la pratique). On se permet tout de même de vous rappeler que le propre du bouddhisme est la méditation. Vous pouvez lire tous les livres que vous voulez, votre connaissance du bouddhisme ne sera qu’intellectuelle. Or, l’essence même du bouddhisme est d’oublier tout savoir et de pratiquer la méditation. Ceci afin d’atteindre l’Éveil.
Que vous vous intéressiez au bouddhisme ou non, ne manquez pas d’attendre fébrilement, mêlé à la population de Chiang Mai, Phra Upakut. Sa rencontre sera gage pour vous d’une bonne fortune…
Anciennes éditions tak bat peng pud
En 2019
La cérémonie tak bat peng pud n’a eu lieu qu’à deux reprises l’année dernière, 2019 donc : les mardi 19 mars et mardi 10 décembre 2019. On vous rappelle que chaque temple est libre d’organiser son tak bat peng pud (explications ci-dessus), qui a donc lieu à minuit. En ville de Chiang Mai, les deux temples ayant recueilli le plus de dévots sont le Wat Upakut (วัดอุปคุต) et le Wat Suan Dok (วัดสวนดอก).

D’autres temples de la région attendaient eux aussi Phra Upakut. Non loin de Chiang Mai, à Doi Saket, le Wat Wang Than (วัดวังธาร หมู่ที่) proposait la présence de neuf moines. À l’est de la Rose du Nord, vers San Kamphaeng, les moines du Wat Phra Pan, appelé également Wat Phranon Mee Pukha (วัดพระป้าน ou วัดพระนอนแม่ปู๋คา) officiaient dès 22h. On vous a déjà parlé de ce temple qui permet une chouette balade dans la campagne; lisez donc notre article Un temple où repose un Bouddha couché à l’ombre des ombrelles… Au nord de Chiang Mai, à Mae Rim, les prières du Wat Tamnak Thamma Nimit (วัดตำหนักธรรมนิมิต) sont psalmodiées dès 20h30 déjà.
Dans le chef-lieu éponyme de la province voisine de Lamphun, le magnifique Wat Phra That Haripunchai Woramahawihan (วัดพระธาตุหริภุญชัย วรมหาวิหาร จังหวัดลำพูน) a lui aussi marqué l’événement, comme à son habitude. À Lamphun toujours, au Wat Phrathat Doi Hang Bat (วัดพระธาตุดอยห้างบาตร), neuf moines bouddhistes ont prié dès 20h puis organisé la cérémonie spéciale dédiée à Phra Upakut à 22h30, étant prêts pour les aumônes à 23h59. Et enfin, dans la vallée de Mae Wang, au sud-ouest de Chiang Mai, les aumônes de minuit pouvaient être effectuées au Wat Saen Kham (วัดแสนคำ).
Vous l’aurez saisi, le chiffre 9 lié au nombre de moines rappelle le 9e mois lunaire du calendrier Lanna, mois où est attendu Phra Upakut…
En 2018
En l’an 2018 – 2561 selon le calendrier bouddhiste thaïlandais – ce ne sont pas moins de trois nuits de pleine lune où la population dévote de Chiang Mai a attendu Phra Upakut : les mardi 30 janvier, mardi 26 juin et mardi 23 octobre 2018. Chants, sermons et autres prières ont animés ces trois nuits en divers lieux de la ville. Ici en vidéo la dernière nuit de l’année :
Sources bibliographiques : Thai Buddhist Amulets et The not so innocents abroad.
Article composé le 30.01.2018 et mis à jour le 04.04.2023
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