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Festival Pu Sae Ya Sae – Mise à mort d’un buffle pour concilier les esprits

On raconte qu’ils voulaient manger le Bouddha…

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Âmes sensibles, s’abstenir ! Chaque année ici à Chiang Mai, dès les premières lueurs du jour, durant la pleine lune du 7e mois lunaire*, se déroule un spectaculaire festival animiste, le Pu Sae Ya Sae (สืบสานประเพณีเลี้ยงดง). Un rituel, autrefois parrainé par le roi du Lanna, qui implique le sacrifice d’un buffle de couleur sombre, effectué par un chaman local, qui doit en manger la chair crue et boire son sang – ce qu’il fait généralement après qu’il ait émis un cri strident. Cette cérémonie a lieu dans une clairière boisée au pied du Doi Kham, une colline à environ 15 km au sud-ouest de la ville, sise à Mae Hia (Canal Rd, non loin de Hang Dong). Mieux vaut s’y rendre tôt pour s’imprégner de l’ambiance locale, avant l’arrivée de quelques groupes de touristes ! Cette année, la cérémonie a lieu le vendredi 2 juin 2023, dès 7h du matin. Il vous faudra par conséquent venir avec votre propre moyen de transport (en louant un scooter ou négociant un song thaew par exemple).

NB : il ne nous appartient pas de porter un jugement sur des pratiques locales séculaires; nous tenons cependant à vous préciser que la mise à mort du buffle a lieu durant la nuit, avant l’événement public, une fête qui n’en reste pas moins spectaculaire. La voici résumée en vidéo :

Citylife a réalisé une autre vidéo résumant le rituel (basée sur la cérémonie de 2017).


De l’importance des esprits protecteurs…

Le rituel animiste dont il est question aujourd’hui, peu connu et archaïque, provient du peuple Luas (ou Lawas), une des ethnies régionales jadis au coeur du royaume du Lanna. Les Luas sont les premiers habitants connus de Chiang Mai, avant même la colonisation siamoise de la région, et même mon, soit une période antérieure à l’introduction du bouddhisme dans le nord de la Thaïlande. Nous vous avons déjà parlé du Festival annuel de l’Inthakin qui découle lui aussi d’anciennes croyances de ce même peuple premier. Trois esprits sont ici impliqués, de même que six esprits inférieurs : grand-père Pu Sae, gardien du Doi Suthep, son épouse grand-mère Ya Sae, gardienne du Doi Kham, et leur fils Sudeva Rishi. Ogres cannibales à l’appétit insatiable pour la chair humaine et le sang, ils hantaient jadis la région. On sait peu de choses des Luas, bien que l’on pense qu’ils fussent des chasseurs de têtes comme les Wa de l’État Shan, auxquels ils sont liés. Leur anthropophagie est étroitement liée au rituel Pu Sae – Ya Sae tel qu’il est encore pratiqué aujourd’hui.

Selon une légende locale, le Bouddha, arrivé ici par une vision lors d’un de ses rêves, remarqua un silence inhabituel, comme si le village était inhabité; il en demanda la raison. Les villageois lui apprirent alors que deux géants, mari et femme habitant la montagne, viennent souvent au village et en attrapent ses habitants pour se nourrir. Ce qui expliquait le calme apparent du village. Le Bouddha, compatissant face à ces villageois sans défense, partit à la rencontre des deux géants. Cupides, Pu Sae et son épouse Ya Sae, de même que leur fils Sudeva Rishi, voulurent dévorer le Bouddha. Celui-ci, ayant pris conscience de leur plan, leur fit d’abord peur en posant son pied sur un rocher – où se trouve aujourd’hui le Wat Phra Buddha Bat Si Roi dans le district de Mae Rim. Puis le Bouddha leur adressa un sermon et prédit qu’il y aura bientôt beaucoup de moines dans cette région, les exhortant à ne plus manger la chair des êtres vivants. Sudeva Rishi, le fils du couple, touché par la grâce du Bouddha, se convertit et devint moine, s’abstenant à jamais de consommer de la viande de toute sorte. Plus tard, il se déshabilla pour mener la vie d’un ermite, passant son temps en méditation dans une grotte au sommet de la montagne qui prit ainsi son nom : Doi Suthep. Pu Sae et Ya Sae, de mauvaises grâces, acceptèrent eux aussi de ne plus manger de chair humaine mais demandèrent au Bouddha la permission de manger seulement deux buffles par an, un chacun, en compensation. Le Bouddha fut réticent à cette requête; il les bénit tout de même, leur dévoilant cinq préceptes, puis les quitta.

Et c’est depuis lors que les habitants vivant autour du Doi Kham pensent qu’ils doivent se concilier les deux esprits, considérés comme les gardiens de la montagne, et donc protecteurs de la forêt, en sacrifiant chaque année deux buffles. Une seconde cérémonie, tombée dans l’oubli, se déroulait dans la forêt aux pieds du Doi Suthep. Il s’agit ici d’apaiser ces deux esprits car, malgré leur promesse, la crainte d’un retour à leur vieilles habitudes cannibales est toujours présente. Le buffle sélectionné est abattu avant l’aube. Si l’animal, qui est tué avec un gros couteau par un boucher musulman, tombe parallèlement au ruisseau Mae Hiya, la pluie sera abondante. La tête, les os, la viande, les entrailles et le sang sont séparés et déposés sur une natte, sous le regard bienveillant d’une illustration du Bouddha suspendue à un arbre. Le chaman – qui peut être une femme, exalté par le lao khao (une liqueur blanche), est soudainement et violemment possédé par les deux esprits et se met à manger la chair crue extraite des entrailles du buffle et à boire son sang. Après un moment, le chaman s’effondre sur le sol. Les esprits le quittent, satisfaits. Ce qui permet aux gens qui vivent autour de la montagne d’être rassurés une année de plus. A travers ce rituel effectué au début de la saison des pluies, les habitants espèrent également des pluies abondantes permettant de bonnes récoltes, de même qu’une bonne santé durant l’année (une nouvelle année, Songkran, qui a commencé à mi-avril selon le calendrier thaïlandais).

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Déroulement de la cérémonie

Selon la légende, le vieux couple anthropophage, Pu Sae et Ya Sae, vivait donc sur les deux montagnes toutes proches, le Doi Suthep et le Doi Kham. Sachant que le Bouddha allait un jour y venir pour se reposer, les dieux védiques Brahma et Indra ont béni le village en apportant une pluie d’or et d’argent. Comme il pleuvait de l’or au village, le Bouddha a prédit que cet endroit s’appellera Doi Kham, ce qui signifie « Montagne d’or ». Et comme il pleuvait de l’argent plus au nord, la montagne a été appelée Doi Ngoen, ce qui signifie « Montagne d’argent » (renommée plus tard Doi Suthep).

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Le terrain rituel, aux abords de la forêt, est déjà prêt dès 6h du matin : le buffle abattu se trouve dans un espace sacré devant douze maisons des esprits. La cérémonie en tant que telle commence généralement peu après 8 heures avec une procession, agrémentée de musique et de danses. Les femmes du village déposent les offrandes prescrites aux esprits : bananes, maïs soufflé, peau de porc, riz gluant, canne à sucre, tabac et aussi de l’eau, de même que des bougies argentées et dorées. Il y a là six plateaux pour l’esprit de la terre et 23 énormes plateaux de feuilles de banane pour les maisons des esprits, chacun contenant des cigares et des noix de bétel. Au sud de la zone rituelle se trouve un sala destiné aux visiteurs qui peuvent voir le médium à l’œuvre, un villageois de la région qui sera bientôt possédé par l’esprit de Ya Sae. A 8h20, Ajarn Phromma, le maître rituel, arrive pour lire les textes sacrés qui appellent les esprits à résider dans les différentes maisons pendant que la musique traditionnelle agrémente la fête. Vers 9h, la bannière Phra Bot, amenée dans un cercueil noir, est hissée – c’est une représentation du Bouddha, flanqué de ses disciples, Sariputra et Moggallana. Neuf moines, reliés au Bouddha par une ficelle de coton blanc, récitent des incantations saintes en langue pali. Vers 9h30, le médium, possédé par l’esprit, se dirige vers le buffle pour se régaler de sa chair crue et de son sang. Vers 10h15, le médium va rendre hommage au Phra Bot.

Ajarn Kraisri Nimmanhaeminda, dont le récit de Pu Sae – Ya Sae a été publié dans le Journal of the Siam Society en 1967, soutient de manière convaincante que la présence de moines bouddhistes et du Phra Bot au sacrifice de buffle est destinée à convaincre les esprits des anciens cannibales que le Bouddha est toujours vivant et qu’ils devraient donc adhérer à leur vœu d’abstinence de chair humaine. Pour les apaiser davantage, on leur accorde leur dernier souhait – de la viande de buffle fraîche avec l’approbation du propriétaire de ce dernier.

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Plusieurs pèlerins demandent à l’homme possédé d’attacher une ficelle blanche autour de leur poignet afin de s’attirer chance et santé. D’autres participants à la fête profitent du passage du médium dans l’assistance pour lui demander les numéros gagnants de la loterie ! C’est vers 11h que prend fin la cérémonie (édition 2016 en vidéo).

Des rites ancestraux

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Vous l’aurez compris, il s’agit là de rites ancestraux antérieurs au bouddhisme, ce dernier n’ayant aucune peine à intégrer les croyances animistes. Au même titre que le Festival de l’Inthakin, lui aussi découlant des croyances du peuple Lua, ou encore les rites visant à faire tomber la pluie à l’aide de fusées (fêtes que l’on retrouve au Xishuangbanna, au sud de la Chine, patrie des Dais), l’ensemble de ces fêtes font partie des rites de fertilité, les pluies assurant des récoltes abondantes (principalement de riz).

L’imbrication de rites chamaniques issus du peuple Lua avec des rites bouddhiste du peuple thaïlandais démontre à l’envi l’amalgame qui constitue le Nord thaïlandais, comprenant de nombreuses minorités ethniques. Les Luas et les Thaïlandais vivent ensemble depuis des siècles, partageant des terres et des traditions culturelles. Lorsque les Thaïs sont devenus dominants, ils n’ont pas cherché à éradiquer les rituels luas mais ont participé (en tant que bouddhistes) au rite (très non bouddhiste) du sacrifice de buffles pour adjurer les esprits :

Que le riz des Luas ne meure pas dans leurs rizières
Que le riz des Thaïlandais ne se dessèche pas et ne meure pas dans leurs rizières
Invocation du Festival Pu Sae Ya Sae

De toute évidence, la symbiose entre Lua et le nord de la Thaïlande est ancienne, étroite et fructueuse. Ainsi, les Luas sont toujours considérés et rappelés comme les ancêtres des Thaïlandais du Nord.

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Celles et ceux désirant approfondir le sujet liront avec intérêt le texte complet de la conférence qu’a donnée Reinhard Hohler le 13 septembre 2011 dans le cadre des réunions de l’INTG – Informal Northern Thai Group. Son titre en est Pu Sae -Ya Sae Spirit Worship: Highlighting the two sacred mountains of Chiang Mai. Ou encore l’article d’Andrew Forbes publié par CPA media, Pu Sae – Ya Sae – Guardian Spirits of Doi Suthep, agrémenté de quelques photos du rituel.

Nos lecteurs qui prendront la peine de participer à cette fête pourront, au retour, faire un détour par le Wat Doi Kham voisin, un charmant temple bouddhiste érigé sur la colline éponyme, qui abrite le grand Bouddha que vous aurez sans nul doute aperçu, un temple connu pour avoir fait gagner plusieurs dévots – ou crédules – à la loterie nationale (ce qui explique les offrandes fleuries qui affluent par milliers). Belle est la vue de là-haut. Ou encore passer l’après-midi au Royal Flora, un parc non dénué de charme (les plus jeunes voudront bien sûr faire trempette au Grand Canyon). On vous conseille également l’indispensable visite du temple tout proche Wat Intharawat (ou Wat Ton Kwen), témoin inestimable de l’architecture du Lanna. Et tout le monde de se retrouver au Brandnew Field Good, un café-restaurant en pleines rizières.

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© Bai Fern Feng Feng + Marco Rugo

* à noter qu’il existe plusieurs calendriers lunaires, ce qui explique la différence des mois si vous les comparez à nos autres publications

Nous remercions les Guides Kohlidays pour le crédit de la photo à la Une.
Sources éditoriales (traduction libre avec adaptation) : Chiang Mai Best, Reinhard Hohler (Chiangmai Mail et INTG – Informal Northern Thai Group) et Andrew Forbes (CPA media – The Asia Experts). Autre source non utilisée, celle d’un professeur de la CMU, en langue thaï donc. Mise à jour le 31.05.2023.

Rituel Pu Sae Ya Sae – Mise à mort d’un buffle pour concilier les esprits

L’on raconte qu’ils voulaient manger le Bouddha…

On vous dévoile aujourd’hui un culte animiste qui remonte au peuple premier de Chiang Mai. Encore peu connu, vous découvrirez sa signification à travers la légende qui le sous-tend où même le Bouddha historique est convoqué. Vous sont également fournis les détails de la cérémonie (date, programme et emplacement), ceci afin que vous puissiez vous aussi y participer. Et l’on termine par quelques conseils de visite alentour.

La cérémonie de l’année 2022 aura lieu le lundi 13 juin 2022. Tout un chacun peut y participer.

Rappelons que la cérémonie de l’année 2020, fixée au 4 juin, n’était pas publique, restrictions de la pandémie du Covid-19 obligent. Pour vous consoler, vous avez là une vidéo, quelques photos et le reportage de Chiang Mai News. De même pour celle de 2021, organisée en comité restreint le 25 mai (sans sacrifice traditionnel du buffle, photos à l’appui).

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De quoi s’agit-il ?

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Âmes sensibles, s’abstenir ! Chaque année ici à Chiang Mai, dès les premières lueurs du jour, durant la pleine lune du 9e mois lunaire*, se déroule un spectaculaire rituel animiste (สืบสานประเพณีเลี้ยงดง, suepsan prapheni liang dong), appelé plus communément Pu Sae (ปู่แสะ) Ya Sae (ย่าแสะ). Une propitiation, autrefois parrainée par le roi du Lanna, qui implique le sacrifice d’un buffle de couleur sombre, effectué par un chaman local, qui doit en manger la chair crue et boire son sang – ce qu’il fait généralement après qu’il ait émis un cri strident. Cette cérémonie a lieu dans une clairière au pied du Doi Kham, une colline à 15 km au sud-ouest de la ville, à Mae Hia (Canal Rd, non loin de Hang Dong). Mieux vaut s’y rendre tôt pour s’imprégner de l’ambiance locale, avant l’arrivée de quelques groupes de touristes ! L’année dernière, la cérémonie a eu lieu le dimanche 16 juin 2019, dès 7h du matin. Il vous faut par conséquent venir avec votre propre moyen de transport (en louant un scooter ou négociant un song thaew par exemple).

Programme 2019 (pour plus d’explications, voir ci-dessous)
‣ 7h00 : réunion sur le site
‣ 8h09 : invocation des esprits de Pu Sae et Ya Sae
– Danse par la Dance Lanna Society
– Installation de Phra Bod (une représentation de Bouddha)
– Le maire de Mae Hia brûle l’encens, allume les bougies et effectue des offrandes
– M. Kasem Khunkaewming prie pour l’accueil des esprits de Pu Sae Ya Sae
‣ 8h39 : début de la procession
‣ 9h19 : arrivée au sanctuaire de Pu Sae Ya Sae
‣ 9h29 : invocation au pied de l’image du Bouddha (Phra Bod). Prière du prévôt Sunthornjetiyarak, l’abbé du Wat Phra That Doi Kham tout proche
‣ 9h49 : cérémonie religieuse
‣ 10h19 : cérémonie en présence du médium (cette année, M. Ma Jeenarat)
Cet horaire peut être sujet à modification. Tenue vestimentaire souhaitée : habits locaux de style lanna.

En 2019, l’événement a été diffusé en direct par la chaîne étatique PRD3. On vous propose la première partie ci-dessous, soit le début de la cérémonie. Vous pouvez également visionner la seconde partie contenant l’envoûtement du chaman. Autre diffusion en direct, celle de Chiang Mai News. Vous avez un aperçu de cette édition 2019 à travers les photos prises par Nuttapong Punjaburicelles publiées par CM108 et enfin l’album-photo d’Events Weekly.

Nota bene : il ne nous appartient pas de porter un jugement sur des pratiques locales séculaires; nous tenons cependant à vous préciser que la mise à mort du buffle a lieu durant la nuit, avant l’événement public, une fête qui n’en reste pas moins spectaculaire. La voici résumée en vidéo :

La vidéo résumant le rituel qu’avait réalisée Citylife (basée sur la cérémonie de 2017) n’est hélas plus en ligne.

Cérémonie animiste Pu Sae Ya Sae (appelée สืบสานประเพณีเลี้ยงดง en thaï)
Quand ?
Dimanche 16 juin 2019, de 7h à 11h20
Où ?
Près du village de Pa Chi (บ้านป่าจี้), dans le sous-district de Mae Hia (แม่เหียะ), au pied du Doi Kham


De l’importance des esprits protecteurs…

Le rituel animiste dont il est question aujourd’hui, peu connu et archaïque, provient du peuple Lua (ou Lawa, ลัวะ), une des ethnies régionales jadis au cœur du royaume du Lanna. Les Lua sont les premiers habitants connus de Chiang Mai, avant même la colonisation siamoise de la région, et même avant le royaume môn, soit une période antérieure à l’introduction du bouddhisme dans le nord de la Thaïlande. Nous vous avons déjà parlé du Festival annuel de l’Inthakin qui découle lui aussi d’anciennes croyances de ce même peuple premier. Trois esprits sont ici impliqués, de même que six esprits inférieurs : grand-père Pu Sae, gardien du Doi Suthep, son épouse grand-mère Ya Sae, gardienne du Doi Kham, et leur fils Sudeva Rishi. Ogres cannibales à l’appétit insatiable pour la chair humaine et le sang, ils hantaient jadis la région. On sait peu de choses des Lua, bien que l’on pense qu’ils fussent des chasseurs de têtes comme les Wa de l’État Shan, auxquels ils sont liés. Leur anthropophagie est étroitement liée au rituel Pu Sae – Ya Sae tel qu’il est encore pratiqué aujourd’hui.

Selon une légende locale, le Bouddha, arrivé ici par une vision lors d’un de ses rêves, remarqua un silence inhabituel, comme si le village était inhabité. Il en demanda la raison aux villageois qui lui apprirent alors que deux géants, mari et femme habitant la montagne, viennent souvent au village et en attrapent ses habitants pour se nourrir. Ce qui expliquait le calme apparent du village, habité par la peur. Le Bouddha, compatissant face à ces villageois sans défense, partit à la rencontre des deux géants. Cupides, Pu Sae et son épouse Ya Sae, de même que leur fils Sudeva Rishi, voulurent dévorer le Bouddha. Celui-ci, ayant pris conscience de leur plan, les épouvanta en posant son pied sur un rocher, là où se trouve aujourd’hui le Wat Phra Buddha Bat Si Roi dans le district de Mae Rim. Puis le Bouddha leur adressa un sermon et prédit qu’il y aura bientôt beaucoup de moines dans cette région, les exhortant à ne plus manger la chair des êtres vivants. Sudeva Rishi, le fils du couple, touché par la grâce du Bouddha, se convertit et devint moine, s’abstenant à jamais de consommer de la viande de toute sorte. Plus tard, il se déshabilla pour mener la vie d’un ermite, passant son temps en méditation dans une grotte au sommet de la montagne qui prit ainsi son nom : Doi Suthep. Pu Sae et Ya Sae, de mauvaises grâces, acceptèrent eux aussi de ne plus manger de chair humaine mais demandèrent au Bouddha la permission de manger seulement deux buffles par an, un chacun, en compensation. Le Bouddha fut réticent à cette requête; il les bénit tout de même, leur dévoilant cinq préceptes, puis les quitta.

Et c’est depuis lors que les habitants vivant autour du Doi Kham pensent qu’ils doivent se concilier les deux esprits, considérés comme les gardiens de la montagne, et donc protecteurs de la forêt, en sacrifiant chaque année deux buffles. Une seconde cérémonie, tombée dans l’oubli, se déroulait dans la forêt au pied du Doi Suthep. Il s’agit ici d’apaiser ces deux esprits car, malgré leur promesse, la crainte d’un retour à leurs vieilles habitudes cannibales est toujours présente. Le buffle sélectionné est abattu avant l’aube. Si l’animal, qui est tué avec un gros couteau par un boucher musulman, tombe parallèlement au ruisseau Mae Hiya, la pluie sera abondante. Puis la tête, les os, les morceaux de viande, les entrailles et le sang sont séparés et déposés sur une natte, sous le regard bienveillant d’une représentation du Bouddha suspendue à un arbre. Le chaman (qui peut être une femme), exalté par le lao khao (une liqueur blanche), est soudainement et violemment possédé par les deux esprits et se met à manger la chair crue extraite des entrailles du buffle et à boire son sang. Après un moment, le chaman s’effondre sur le sol. Les esprits le quittent, satisfaits. Ce qui permet aux gens qui vivent autour de la montagne d’être rassurés une année de plus. À travers ce rituel effectué au début de la saison des pluies, les habitants espèrent également des pluies abondantes permettant de bonnes récoltes, de même qu’une bonne santé durant l’année (une nouvelle année, Songkran, qui a commencé à mi-avril selon le calendrier thaïlandais).

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Affiche de l’édition 2018

Déroulement de la cérémonie

Selon la légende, le vieux couple anthropophage, Pu Sae et Ya Sae, vivait donc sur les deux montagnes toutes proches, le Doi Suthep et le Doi Kham. Sachant que le Bouddha allait un jour y venir pour se reposer, les dieux védiques Brahma et Indra ont béni le village en apportant une pluie d’or et d’argent. Comme il pleuvait de l’or au village, le Bouddha a prédit que cet endroit s’appellera Doi Kham, ce qui signifie « Montagne d’or ». Et comme il pleuvait de l’argent plus au nord, la montagne a été appelée Doi Ngoen, ce qui signifie « Montagne d’argent » (renommée plus tard Doi Suthep).

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Le terrain rituel, aux abords de la forêt, est déjà prêt dès 6h du matin : le buffle abattu se trouve dans un espace sacré devant douze maisons des esprits. La cérémonie en tant que telle commence généralement peu après 8 heures avec une procession, agrémentée de musique et de danses. Les femmes du village déposent les offrandes prescrites aux esprits : bananes, maïs soufflé, peau de porc, riz gluant, canne à sucre, tabac et aussi de l’eau, de même que des bougies argentées et dorées. Il y a là six plateaux pour l’esprit de la terre et 23 énormes plateaux de feuilles de banane pour les maisons des esprits, chacun contenant des cigares et des noix de bétel. Au sud de la zone rituelle se trouve un sala destiné aux visiteurs qui peuvent voir le médium à l’œuvre, un villageois de la région qui sera bientôt possédé par l’esprit de Ya Sae. A 8h20, Ajarn Phromma, le maître rituel, arrive pour lire les textes sacrés qui appellent les esprits à résider dans les différentes maisons pendant que la musique traditionnelle agrémente la fête. Vers 9h, la bannière Phra Bot, amenée dans un cercueil noir, est hissée – c’est une représentation du Bouddha, flanqué de ses disciples, Sariputra et Moggallana. Neuf moines, reliés au Bouddha par une ficelle de coton blanc, récitent des incantations saintes en langue pali. Vers 9h30, le médium, possédé par l’esprit, se dirige vers le buffle pour se régaler de sa chair crue et de son sang. Vers 10h15, le médium va rendre hommage au Phra Bot.

Ajarn Kraisri Nimmanhaeminda, dont le récit bilingue de Pu Sae – Ya Sae a été publié dans le Journal of the Siam Society en 1967, soutient de manière convaincante que la présence de moines bouddhistes et du Phra Bot au sacrifice du buffle est destinée à convaincre les esprits des anciens cannibales que le Bouddha est toujours vivant et qu’ils devraient donc adhérer à leur vœu d’abstinence de chair humaine. Pour les apaiser davantage, on leur accorde leur dernier souhait – de la viande de buffle fraîche avec l’approbation du propriétaire de ce dernier.

PuSaeYaSaeFestivalMarco12

Plusieurs pèlerins demandent à l’homme possédé d’attacher une ficelle blanche autour de leur poignet afin de s’attirer chance et santé. D’autres participants à la fête profitent du passage du médium dans l’assistance pour lui demander les numéros gagnants de la loterie ! C’est vers 11h que prend fin la cérémonie (édition 2016 en vidéo).


Des rites ancestraux

Vous l’aurez compris, il s’agit là de rites ancestraux antérieurs au bouddhisme, ce dernier n’ayant aucune peine à intégrer les croyances animistes. Au même titre que le Festival de l’Inthakin, lui aussi découlant des croyances du peuple Lua, ou encore les rites visant à faire tomber la pluie à l’aide de fusées (fêtes que l’on retrouve au Xishuangbanna, au sud de la Chine, patrie des Dai), l’ensemble de ces fêtes font partie des rites de fertilité, les pluies assurant des récoltes abondantes (principalement de riz).

L’imbrication de rites chamaniques issus du peuple Lua avec des rites bouddhistes du peuple thaïlandais démontre à l’envi l’amalgame qui constitue le nord thaïlandais, une région comprenant de nombreuses minorités ethniques. Les Lua et les Thaïlandais vivent ensemble depuis des siècles, partageant des terres et des traditions culturelles. Lorsque les Thaïs sont devenus dominants, ils n’ont pas cherché à éradiquer les rituels lua mais ont participé (en tant que bouddhistes) au rite (très non bouddhiste) du sacrifice de buffles pour adjurer les esprits.

Que le riz des Lua ne meure pas dans leurs rizières
Que le riz des Thaïlandais ne se dessèche pas et ne meure pas dans leurs rizières
Invocation du rituel Pu Sae Ya Sae

De toute évidence, la symbiose entre Lua et le nord de la Thaïlande est ancienne, étroite et fructueuse. Ainsi, les Lua sont toujours considérés et rappelés comme les ancêtres des Thaïlandais du Nord.

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Celles et ceux désirant approfondir le sujet liront avec intérêt le texte complet de la conférence qu’a donnée Reinhard Hohler le 13 septembre 2011 dans le cadre des réunions de l’INTG – Informal Northern Thai Group. Son titre en est Pu Sae -Ya Sae Spirit Worship: Highlighting the two sacred mountains of Chiang Mai. Ou encore l’article d’Andrew Forbes publié par CPA media, Pu Sae – Ya Sae – Guardian Spirits of Doi Suthep, agrémenté de quelques photos du rituel. Autre contribution éclairante, celle, en anglais, de M. Shigeharu Tanabe, professeur à la CMU (Université de Chiang Mai) : Sacrifice and the Transformation of Ritual: The Pu Sae Ña Sae Spirit Cult of Northern Thailand.

Complétons ce bref panorama bibliographique avec l’importante contribution – en français – de Jean de la Mainate, un infatigable érudit – animateur du blog Merveilleuse Chiang Maï – qui, plus il écrit plus il a à écrire. Lisez donc son travail de bénédictin : Liang dong – Le culte rendu à Pu Saeh Ya Saeh. Pour lui, ce culte propitiatoire révèle la confrontation du bouddhisme avec l’animisme, antérieur. Une habile mise en relief historique grâce à ses lectures dans les textes originaux. Nous le remercions de sa contribution qui nous a permis, après coup, d’apporter quelques informations supplémentaires à notre article.

Nos lecteurs qui prendront la peine de participer à cette fête ne manqueront pas, au retour, de faire un détour par le Wat Doi Kham voisin, un charmant temple bouddhiste érigé sur la colline éponyme, qui abrite le grand Bouddha que vous aurez sans nul doute aperçu, un temple connu pour avoir fait gagner plusieurs dévots – ou crédules – à la loterie nationale (ce qui explique les offrandes fleuries qui affluent par milliers). Belle est la vue de là-haut. Ou encore passer l’après-midi au Royal Flora, un parc non dénué de charme (les plus jeunes voudront bien sûr faire trempette au Grand Canyon). On vous conseille également l’indispensable visite du temple tout proche Wat Intharawat (ou Wat Ton Kwen), témoin inestimable de l’architecture du Lanna. Et tout le monde de se retrouver au Brandnew Field Good, un café-restaurant en pleines rizières.

PuSaeYaSaeFestivalMontageFernFengFeng+Rugo
© Bai Fern Feng Feng + Chiang Mai De-ci De-là

* à noter qu’il existe plusieurs calendriers lunaires (indiens, chinois, thaïlandais, du Lanna…), ce qui explique la différence des mois si vous les comparez à nos autres publications. Ici, nous avons retenu le calendrier lanna (le nord thaïlandais) car les indigènes évoquent bien le 9e mois (alors que certaines chroniques parlent du 7e).

Nous remercions les Guides Kohlidays pour le crédit de la photo à la Une.
Sources éditoriales (traduction libre avec adaptation) : Chiang Mai Best, Reinhard Hohler (Chiangmai Mail et INTG – Informal Northern Thai Group) et Andrew Forbes (CPA media – The Asia Experts). Autres sources non (encore) utilisées, celle d’un professeur de la CMU, en langue thaï donc, celle de la page Facebook Lanna (elle aussi en thaï) et enfin, abordant un thème plus général, en anglais cette fois-ci, celle de Michael R. Rhum intitulée The Cosmology Of Power In Lanna.
Article composé le 26.05.2018 et mis à jour le 12.06.2022.

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