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Résultats des élections législatives 2023 en Thaïlande : basculement du pouvoir en vue

Élections 2023 - Vague orange

Vague orange. Les observateurs politiques s’attendaient à une vague rouge et c’est une vague orange qui a emporté le pays lors des dernières élections nationales.

Les militaires, auteurs d’un putsch en mai 2014, croyaient avoir verrouillé le pouvoir avec l’entrée en vigueur en avril 2017 d’une Constitution taillée à leur mesure. C’était sans compter sur l’aspiration démocratique du peuple qui a voté le week-end dernier, balayant la junte au pouvoir et ses affidés politiques.

C’est toujours avec des pincettes que nous rendons compte – tant sur notre site web que sur notre page Facebook – des événements politiques du royaume de Thaïlande, le sujet étant souvent sensible. Nous n’enfreindrons pas cette règle en reproduisant ci-dessous les communiqués de presse officiels de NBT World, le Bureau national d’information de la Thaïlande.

La Commission électorale déclare le parti Move Forward vainqueur des élections 2023

Le 15 mai, la Commission électorale (CE) a annoncé que le parti Move Forward était sorti vainqueur du dépouillement des bulletins de vote. Le président de cette Commission, M. Ittiporn Boonpracong, a indiqué que le parti Move Forward de Pita Limjaroenrat avait obtenu un total de 112 sièges dans les circonscriptions et 39 sièges sur les listes de parti. Le parti Pheu Thai suit de près avec 112 sièges de circonscription et 29 sièges de liste de parti. Bhumjaithai a obtenu 68 sièges dans les circonscriptions et 3 sièges sur les listes de parti, tandis que Palang Pracharath a obtenu 39 sièges dans les circonscriptions et 1 siège sur les listes de parti. Le Parti de la Nation Thaïlandaise Unie – parti créé par le Premier ministre au pouvoir, Prayut Chan-o-Cha, putschiste – n’a obtenu que 23 sièges dans les circonscriptions et 13 sièges sur les listes de partis.

En ce qui concerne les petits partis, les Démocrates ont obtenu 22 sièges dans les circonscriptions et 3 sièges sur les listes de partis, tandis que Chartthaipattana a obtenu 9 sièges dans les circonscriptions et Prachachat a remporté 7 sièges dans les circonscriptions et 2 sièges sur les listes de partis. Thai Sang Chart a obtenu 5 sièges dans la circonscription, Pheu Thai Ruam Palang 2 sièges dans la circonscription, Chart Pattana Kla 1 siège dans la circonscription, Seri Ruam Thai 1 siège sur la liste du parti et Thai Sang Thai 1 siège sur la liste du parti.

Ittiporn a également souligné que le taux de participation à l’élection a atteint un niveau record de 75,22 %, reflétant l’engagement significatif de la population thaïlandaise dans le processus démocratique.

Move Forward annonce une coalition de 6 partis

Pita Limjaroenrat, leader et candidat au poste de Premier ministre du parti Move Forward (MFP), a annoncé la formation d’un gouvernement de coalition comprenant six partis et un total de 309 députés.

Lors des élections de dimanche dernier – le 14 mai 2023 – le vote conservateur et la politique de clientélisme qui ont gouverné le pays pendant une décennie ont été balayés par ce que l’on appelle la « vague orange ». Le MFP, qui jouit d’une grande popularité en Thaïlande, est devenu le plus grand parti avec 151 députés, dont 12 issus des circonscriptions et 39 de la liste du parti. Pita, confiant dans sa capacité à diriger le pays en tant que Premier ministre, a affirmé sa volonté de respecter le consensus électoral et s’est engagé à être un leader pour tous les citoyens thaïlandais. Le gouvernement de coalition devrait comprendre le MFP, le parti Pheu Thai, le parti Prachachat, le parti Thai Sang Thai, le Parti Libéral Thaïlandais et le Parti Équitable, ce qui donnera à Pita une forte majorité de 309 députés.

En outre, M. Pita a souligné l’engagement de son parti à tenir les promesses faites au peuple – NDLR : notamment la remise en cause de l’article 112, l’infraction de lèse-majesté – et a assuré que le gouvernement serait rapidement mis en place. Il a appelé les citoyens thaïlandais à placer leur confiance dans le MFP.

Soutien du Parti Démocrate

Alongkorn Ponlaboot, chef adjoint par intérim du Parti Démocrate, a fait part de l’intention de son parti de soutenir Pita Limjaroenrat, chef du parti Move Forward (MFP), pour qu’il accède au poste de Premier ministre. Cette décision fait suite à la victoire du MFP, qui a obtenu la majorité des voix dans le pays, avec plus de 14 millions de personnes qui ont soutenu le parti. Selon M. Alongkorn, cette décision honore la voix du peuple et facilitera une transition rapide et sans heurts du gouvernement, sans poser de conditions à la participation du Parti Démocrate au gouvernement.
Alongkorn a souligné la nécessité pour le Parti Démocrate de jouer un rôle dans la prévention de toute impasse potentielle dans l’élection d’un nouveau Premier ministre. Le processus d’élection du Premier ministre requiert un minimum de 376 votes de soutien de la part des membres du Parlement.

Soutien du Parti Démocrate

Tout en soutenant le candidat du MFP au poste de Premier ministre, le parti démocrate a déclaré qu’il était prêt à faire partie de l’opposition afin de garantir une gouvernance équilibrée.

Le chef adjoint par intérim a également confirmé que les actions du parti adhéreraient aux trois principes clés que sont le maintien d’un régime démocratique avec le roi comme chef d’État, la promotion d’une démocratie propre et la recherche d’une démocratie qui réponde aux défis économiques auxquels le public est confronté.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ces élections, lisez donc
l’analyse de Philippe Bergues parue dans le magazine en ligne Gavroche
celle de l’agence Reuters que publie Le Petit Journal, édition de Bangkok
➥ ou encore la présentation de Pita Limjaroenrat, l’opposant qui veut mettre fin au régime militaire, par France 24

L’on saura dès lors bientôt qui sera le futur Premier ministre de Thaïlande…

#Politique #Thaïlande #VagueOrange #MoveForward


Article composé le 18.05.2023

En Thaïlande, les jeunes face à la monarchie et l’armée. Analyse d’Eugénie Mérieau

Vous avez peut-être déjà lu un entrefilet sur les nombreux rassemblements de protestation qui ont émaillé l’année 2020 en Thaïlande, et qui continuent en cette année 2021. Des manifestations organisées par la jeunesse estudiantine du pays qui ont rassemblé des dizaines de milliers de jeunes et qui se sont étendues à toutes les villes comptant des campus universitaires.

Comment est né ce mouvement ? Quels sont leurs modes opératoires ? Que réclament les protestataires ? Qu’en attendre à l’avenir ? C’est de cela que nous désirons vous entretenir aujourd’hui avec une analyse fouillée d’une experte reconnue de la Thaïlande, Mme Eugénie Mérieau, Dr en droit : En Thaïlande, les jeunes face à la monarchie et l’armée. Non sans vous en dire plus sur son auteure, Eugénie Mérieau donc, elle qui a écrit plusieurs ouvrages sur la Thaïlande, des livres qui vous permettront de mieux comprendre ce pays. En complément de son éclairante analyse, on vous dirige également vers un regard complémentaire sur cette situation complexe, celui du réalisateur Apichatpong Weerasethakul, palmé à Cannes et habitant Chiang Mai. Alors qu’une récente condamnation selon le fameux article 112 – appelé lèse-majesté – vient de tomber En terminant par un reportage d’ARTE Regards : Vers un printemps thaïlandais ?

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Le Pays du Sourire. Vraiment ?

Amazing Thailand – Le Pays du Sourire. Voilà comment est présentée la Thaïlande par les autorités touristiques du pays. Il est vrai qu’un touriste étranger de passage n’a que faire des spasmes politiques du pays visité, ne se préoccupant que de son bien-être durant la durée du séjour. Malgré un régime démocratique sans cesse remis à l’ordre par des coups d’État militaires, la Thaïlande réussit à attirer des touristes par dizaines de millions (l’année 2020 faisant exception, le tourisme étant en crise durant la pandémie sanitaire). C’est dire que ces derniers font peu cas du type de régime politique en place, celui-ci leur assurant une pleine sécurité.

Néanmoins, il nous apparaît essentiel de tenter de comprendre ce qui motive la jeunesse éduquée du royaume à se rebeller contre l’autorité représentée par le gouvernement militaire au pouvoir. Des militaires – auteurs de nombreux coups d’État – qui n’ont pas brillé en matière économique ces 50 dernières années en comparaison régionale

Une jeunesse qui se mobilise depuis plus d’un an, demandant sans relâche la démission du Premier ministre, Prayut Chan-o-cha, le général qui a fomenté le dernier coup d’État en date. Une jeunesse qui, pour la première fois et au grand étonnement – parfois réprobateur – de leurs aînés, ose critiquer ouvertement le roi (en l’honneur de qui des billets de banque commémoratifs ont été édités il y a peu).

En résumé, le mouvement estudiantin réclame la démission du Premier ministre, la réécriture de la Constitution thaïlandaise et la réforme de la monarchie. Des demandes qui ont amené plus de 40 militants à être inculpés en vertu de la loi de lèse-majesté pour avoir participé à des manifestations. Un mouvement soutenu notamment par les 5 finalistes du concours de Miss Grand Thailand, au premier rang desquelles la vainqueure, Nam.

Qui donc, mieux qu’Eugénie Mérieau, pouvait nous éclairer sur les raisons d’un mouvement de contestation qui ne faiblit pas ? Nous reproduisons ci-dessous son analyse éclairante sur la situation politique actuelle, publiée ce mois de janvier sur le site Le Monde Diplomatique1.

Elle revient sur les soubresauts historiques – parfois mortels – de cette contestation, sur le mouvement auquel dite contestation se réfère, sur la décision judiciaire qui a mis le feu aux poudres (la dissolution du parti Anakot Maï) et sur les revendications de cette jeunesse combattante (au sens politique du terme), elle qui noue des contacts avec son homologue hongkongaise. Sa conclusion est limpide : le tabou de la monarchie a sauté, et donc il n’est pas abusif d’affirmer que, quelle qu’en soit l’issue, ces manifestations ont déjà transformé en profondeur la politique thaïlandaise.


En Thaïlande, les jeunes face à la monarchie et l’armée1

La jeunesse thaïlandaise est dans la rue. Le 24 juin 2020, ils n’étaient qu’une petite cinquantaine à se retrouver au Monument de la démocratie, dans le centre de Bangkok, pour commémorer l’anniversaire de la révolution de 1932 ayant mis fin à la monarchie absolue dans ce qui s’appelait encore le « Siam », alors seul État indépendant d’Asie du Sud-Est. Trois mois plus tard, le 19 septembre, jour anniversaire du coup d’État militaire de 2006 qui mit un coup d’arrêt à la « transition démocratique », ils étaient plusieurs dizaines de milliers face au Palais royal.

La contestation actuelle s’inscrit dans la continuité du mouvement des « chemises rouges » (1), né en opposition à ce coup d’État — lequel appelait à « achever » la révolution de 1932 et à réhabiliter sa figure historique, Pridi Panomyong, juriste formé en France dans les années 1920, dans une IIIe République devenue le centre de formation des jeunes révolutionnaires de toute l’Asie. Mais, en 2010, ce mouvement est réprimé dans le sang : l’armée ouvre le feu sur les manifestants, en tuant quatre-vingt dix et en blessant près de deux mille, de quoi faire taire la contestation sociale.

Dix ans plus tard, les manifestants sont jeunes, voire très jeunes. En majorité lycéens et étudiants nés dans les années 2000, ils sont fans de K-pop, de Hunger Games et de Harry Potter, mais ils arborent aussi sur leurs tee-shirts le portrait de Somsak Jiemteerasakul, historien majeur, critique de la monarchie, né en 1958 et réfugié politique en France. S’ils n’ont pour la plupart que de vagues souvenirs de 2010, ils peuvent se prévaloir, en dépit de leur jeune âge, d’une déjà très riche expérience : deux coups d’État (2), quatre Constitutions (2006, 2007, 2014, 2017), la mort d’un roi — Bhumibol Adulyadej, en 2016, après soixante-dix ans de règne — et l’accession au trône de son successeur — Vajiralongkorn, couronné Rama X en 2019. Avec le soutien affiché d’une partie de leurs aînés, parents et professeurs, mais également d’anciennes « chemises rouges », ils réclament une réforme de la monarchie et une nouvelle Constitution.

Tout a commencé avec la dissolution du parti Nouvel Avenir (Anakot Maï) par la Cour constitutionnelle en février 2020. Ce dernier avait été fondé en mars 2018 par trois trentenaires : M. Thanathorn Jeungrungruangkit, l’héritier multimillionnaire d’une entreprise industrielle, M. Chaitawat Tulathon, éditeur de livres critiques à l’égard de la monarchie, et M. Piyabutr Saengkanokkul, professeur de droit public. Le parti participe à l’élection de mars 2019, la première depuis le dernier coup d’État militaire mené par le général Prayut Chan-o-cha. À la surprise générale, il obtient près de 20 % des suffrages, ce qui l’érige en troisième force politique du pays, après le parti politique des militaires et celui d’opposition des anciens premier ministres Thaksin Shinawatra et sa sœur Yingluck Shinawatra, renversés par les coups d’État de 2006 et 2014 respectivement. Au Parlement, où siègent cinq cents députés, les quatre-vingts élus de Nouvel Avenir — dont la première parlementaire trans de l’histoire du royaume — exigent la fin du service militaire et une réduction du budget de l’armée. Plus tabou encore, ils s’opposent frontalement aux décrets du roi, notamment au transfert d’une partie des effectifs militaires sous son commandement direct. Ces prises de position en rupture avec l’establishment militaro-monarchique, tandis que le premier parti d’opposition se mure dans le mutisme, leur gagnent de nombreuses faveurs, notamment parmi ceux qui veulent dépasser l’ancien clivage jaune-rouge (3) de leurs parents au sein duquel ils ne se reconnaissent pas.

Des campus universitaires en effervescence, ici à la CMU © Facebook – สิทธิ จันทร์เพ็ญ

Nouvel Avenir, au logo orange, s’était dès sa fondation engagé dans une stratégie « populiste de gauche », faisant le pari d’un dépassement des oppositions entre zones urbaines et rurales, entre classes moyennes et classes populaires, en désignant un ennemi commun : l’oligarchie militaro-monarchique. Cette stratégie, couronnée de succès, explique l’ampleur de la mobilisation actuelle. Après la dissolution du parti, alors que les dirigeants sont frappés d’une peine d’inéligibilité de dix ans, leurs électeurs et leurs soutiens partout dans le pays décident de réagir, bien que la crise du Covid-19 les empêche dans un premier temps de se rassembler. Le gouvernement décrète l’état d’urgence et impose même pour quelques semaines un couvre-feu à 23 heures.

C’est dans ces conditions qu’est annoncée, début juin 2020, la disparition de M. Wanchalerm Satsaksit, un militant de 32 ans proche des électeurs de Nouvel Avenir, qui s’était enfui au Cambodge après 2014, comme nombre de ses pairs. Que son meurtre ait été commandité par le régime ne fait que peu de doute : depuis 2016, plusieurs opposants en exil ont ainsi « disparu » avant que leur corps ne soit retrouvé flottant dans les eaux du Mékong, lesté de pierres à la place des entrailles.

Une œuvre du caricaturiste thaïlandais Pssyppl. © Facebook

Peut-on vraiment qualifier le système politique thaïlandais de « monarchie constitutionnelle » ? Certes, en 1932, le Siam adopte sa première Constitution. À l’issue d’un conflit entre les promoteurs de la révolution et le roi sur les prérogatives royales, ce dernier abdique en 1935. S’installe alors une période de régence, durant laquelle le pays se militarise puis entre dans la seconde guerre mondiale aux côtés du Japon… avant de se revendiquer vainqueur avec les Alliés. Non seulement la société siamoise échappe au sort japonais d’une démilitarisation forcée, mais les Américains soutiennent massivement l’armée dans le cadre de leur politique de containment (« endiguement ») anticommuniste dans la région. En 1958, après une prise de pouvoir par coup d’État, le général Sarit Thanarat s’inspire de de Gaulle pour se faire tailler une Constitution sur mesure incluant un article sur les pleins pouvoirs : l’« article 17 » sera utilisé pour réprimer les communistes, les républicains et les démocrates, décréter des exécutions sommaires et développer l’économie du pays.

Dans le même temps, le régime militaire s’emploie à faire renaître la monarchie de ses cendres et reprend en main le bouddhisme, monarchie et religion étant considérées comme les parfaits antidotes aux idées communistes. La stratégie se traduit par un relatif échec, les idées marxistes se diffusant massivement dans les villes et les campagnes tout au long des années 1960 et 1970, aboutissant en 1973 à une grande manifestation à Bangkok pour réclamer la démission des militaires du gouvernement. Ces derniers partiront en effet, abandonnés par une monarchie soucieuse de se réinventer en force prodémocratie.

Néanmoins, cette victoire des manifestants est de courte durée : en 1976, les milices paramilitaires proches du Palais massacrent les étudiants « marxistes » par dizaines, organisant des lynchages publics et des viols. Un épisode qui laisse un traumatisme béant dans la conscience collective des Thaïlandais, et qui signe le retour de l’armée en politique. Depuis 1976, malgré des flux et des reflux, l’armée et la monarchie conservent un rôle politique de premier plan.

Avec son accession au trône, le nouveau roi Vajiralongkorn donne une impulsion néo-absolutiste. Il s’approprie les « biens de la Couronne », financés par le budget de l’État et par des dividendes issus des grandes entreprises thaïlandaises — ce qui en fait le monarque le plus riche du monde (4). Il s’octroie le pouvoir de nomination du chef de l’Église bouddhique, et place une partie de l’armée sous son commandement direct. Il demande également à ce que soit révisée la Constitution adoptée par référendum, pour que soit supprimée la nécessité d’une régence en cas d’absence du royaume. Et pour cause : il a passé la majorité de son début de règne hors du pays, dans une immense villa en Bavière.

Pas étonnant que, le 26 octobre 2020, les manifestants décident de marcher jusqu’à l’ambassade d’Allemagne ; ils exigent, par une lettre remise à l’ambassadeur, que Berlin fasse toute la lumière sur les agissements du roi dans sa villa bavaroise. Attaqué, Vajiralongkorn se résout à repousser son départ pour orchestrer une campagne de communication visant à se construire une image de monarque populaire. Plusieurs manifestations royales sont organisées, au cours desquelles il se rend au contact de ses sujets agenouillés. À certains d’entre eux, il fait passer des messages politiques, soigneusement enregistrés sur iPhone et diffusés sur les réseaux sociaux comme « images volées ». Il s’adresse ainsi à Buddha Issara, un moine ultranationaliste faisant l’apologie de la violence contre les antiroyalistes, lui renouvelant son soutien. À un quidam qui avait organisé une contre-manifestation proroyaliste, il déclare : « Quel courage, quelle bravoure, merci bien », triptyque vite devenu un mème dans les manifestations, et l’instrument d’incessantes moqueries sur le Web.

© Facebook – Politics Kalaland (การเมืองไทย ในกะลา)

À un journaliste de CNN (5) l’interrogeant au cours d’un de ces bains de foule sur ce qu’il avait à dire « aux jeunes qui manifestent », il répond : « Nous les aimons tout autant. » Et à la question « Y a-t-il une place pour le compromis ? », il assure tout sourire : « La Thaïlande est la terre des compromis. »

Il peut, en effet, se targuer d’en avoir réalisés : en 2017, il ordonne un moratoire sur la loi de lèse-majesté, immédiatement appliquée par la police, l’armée et la justice. Plus de doute pour savoir qui, de l’armée ou du roi, « commande » : le régime militaire est sous commandement royal. C’est la raison pour laquelle les jeunes Thaïlandais adressent leurs revendications directement à Vajiralongkorn plutôt qu’au premier ministre, le général Prayut, perçu comme son intermédiaire.

Ils demandent notamment le retour au régime de séparation entre les biens de la Couronne et les biens personnels du roi. Le 14 octobre 2020, lorsqu’un convoi royal passe à proximité des manifestants, ces derniers ne se prosternent pas devant la reine, comme le veut la tradition, mais chantent : « Mes impôts, mes impôts, rendez-moi mes impôts. » Le budget annuel alloué à la monarchie s’élève à environ 1 milliard d’euros pour 2020, plus quelques milliards répartis entre les ministères pour l’organisation des cérémonies royales, la mise en œuvre des projets royaux, l’achat et l’entretien des avions royaux, la protection royale, etc. Et si ce budget servait à financer un État social ? Dans les manifestations, les participants sont donc invités à choisir quelle réallocation leur paraîtrait la plus appropriée : congé parental, sécurité sociale, retraites… Certains militent en faveur d’un revenu de base universel pour les jeunes, une proposition également portée par le Nouvel Avenir.

Si cette contestation s’inscrit dans la continuité du mouvement des « chemises rouges », elle s’en éloigne par ses nombreuses revendications sociétales, son rejet des hiérarchies et de l’autorité. Et il n’y a pas de leaders désignés.

Eugénie Mérieau

Mais la contestation porte sur tous les aspects de la société, et en particulier contre la « culture de l’autoritarisme » : contre la cérémonie du wai khru, au cours de laquelle écoliers, collégiens et lycéens se prosternent aux pieds de leurs professeurs pour leur rendre hommage, contre le port de l’uniforme, contre la coupe de cheveux exigée à l’école, contre le service militaire, contre le harcèlement sexuel, pour l’avortement, pour les droits LGBT. La figure de proue des manifestants, Mme Panusaya « Rung » Sithijirawattanakul, 22 ans, désignée par la British Broadcasting Corporation (BBC) comme l’une des « 100 femmes les plus influentes (6) » du monde cette année, avait été l’une des premières à dénoncer, en 2019, les violences sexuelles au sein du mouvement des étudiants du parti Dome Revolution à la prestigieuse université Thammasat (l’AFP vous la présente dans cet article). Si cette contestation s’inscrit dans la continuité du mouvement des « chemises rouges », elle s’en éloigne donc par ses nombreuses revendications sociétales, son rejet des hiérarchies et de l’autorité. Et il n’y a pas de leaders désignés.

Les manifestants ont également innové dans les techniques de mobilisation. Les « chemises rouges » se rassemblaient les week-ends, organisant d’immenses manifestations dans des stades, au cours desquelles se succédaient discours, concerts, shows comiques, karaokés, spectacles de drag queen et danses, pendant de longues heures voire des semaines — pour se transformer parfois en campements de longue durée. La nouvelle génération reprend ce côté festival-campement, pour des manifestations impressionnantes de professionnalisme : scènes sécurisées, système sonique ultraperformant, camions Internet déployés pour offrir du signal 4G aux manifestants en cas de coupure, drones de surveillance.

Leur financement participatif doit beaucoup, comme en 2010, aux célébrités et à de riches femmes et hommes d’affaires mais surtout, ils comptent désormais une force dotée de superpouvoirs sur Internet : l’ « armée » de la K-pop thaïlandaise.

Les manifestants tournent leur regard vers Hongkong, d’où ils importent des techniques de flash mob, moins coûteuses, se caractérisant par des manifestations quotidiennes et mobiles, l’usage de parapluies et de lasers, et dernièrement, de canards jaunes gonflables. Cette circulation de techniques entre Hongkong et Bangkok s’accompagne d’un développement de solidarités au sein de la Milk Tea Alliance, l’alliance des « pays qui boivent du thé au lait », contre la Chine et ce qu’elle représente de verrouillage de la liberté d’expression. M. Joshua Wong, l’une des figures de la contestation hongkongaise, s’est même piqué d’une lettre à l’entreprise américaine NonLethal Technologies, qui fabrique les grenades lacrymogènes utilisées dans les deux villes, signée des manifestants thaïlandais et hongkongais.

Jusqu’à présent, le pouvoir militaire thaïlandais a fait preuve d’une certaine retenue face aux manifestants, qui contraste avec la brutalité de la répression en 2010 : gaz lacrymogènes et canons à eau à deux reprises au cours de ces longs mois de manifestations quasi quotidiennes. Cela ne tient pas à la nature du régime — démocratie civile alors, contre régime militaire semi-démocratique aujourd’hui —, mais davantage au statut social des manifestants. En 2010, les « chemises rouges » tuées à balles réelles par l’armée étaient appelées péjorativement « buffles rouges » : il s’agissait de provinciaux, à la peau foncée, considérés comme illettrés, moqués pour leur accoutrement et leurs manières, traités de communistes, de révolutionnaires et de terroristes. Aujourd’hui, les manifestants sont majoritairement de jeunes urbains, clairs de peau, instruits, en uniforme immaculé, souvent sino-thaïs, des Bangkokiens de la classe moyenne. Tire-t-on sur ses propres enfants ?

Toutefois, plusieurs sources confirment que le régime incite les militaires et policiers à passer l’habit jaune royaliste pour participer à des contre-manifestations, intimider et éventuellement générer des affrontements. Jusqu’alors, cette tactique a été vaine : les royalistes peinent à recruter, et, quand ils y parviennent, c’est davantage en souvenir de l’ancien roi Bhumibol qu’en soutien au régime actuel.

Le tabou de la monarchie a sauté. Quelle qu’en soit l’issue, ces manifestations ont déjà transformé en profondeur la politique thaïlandaise

Eugénie Mérieau

Contrairement à 2010, le dialogue ne semble pas impossible. Dans les émissions de débat télévisé, comme la quotidienne « Tham trong » (« question directe »), les invités des deux camps débattent sans (forcément) finir par s’insulter, telle l’émission du 27 novembre sur les finances de la monarchie, qui affiche près d’un million et demi de vues sur YouTube.

© Facebook – Télérama

Comme Mme Carrie Lam, cheffe de l’exécutif à Hongkong, M. Prayut table sur un essoufflement du mouvement à la faveur de l’arrestation de personnes considérées comme « leaders ». Néanmoins, les juges thaïlandais, notamment dans les cours de première instance, n’ont pas tellement coopéré, se montrant bien plus indulgents à l’égard de ces jeunes qu’ils ne l’avaient été face aux « chemises rouges ». Alors que « Rung » et d’autres figures du mouvement étaient arrêtées pour organisation de manifestation non autorisée, les juges les ont libérées sous caution, après quelques jours de détention provisoire. C’est sans doute la raison pour laquelle le régime, probablement sur ordre du roi, a décidé de rétablir la loi de lèse-majesté. Contre toute attente, les manifestants accusés de lèse-majesté depuis le 30 novembre dernier n’ont pas été placés en détention provisoire. La défection d’une partie des juges est, faut-il le rappeler, un signe précoce de l’imminence d’un changement de régime.

Dans tous les cas, le tabou de la monarchie a sauté, et donc il n’est pas abusif d’affirmer que, quelle qu’en soit l’issue, ces manifestations ont déjà transformé en profondeur la politique thaïlandaise. Les anciens laisseront la place à cette nouvelle génération, qui ne croit ni en l’armée ni en la monarchie. Comme l’un des mots d’ordre des manifestants le dit clairement : « Vous avez voulu déconner avec la mauvaise génération… cela va devoir s’arrêter avec notre génération. »

Bien que vous puissiez lire aujourd’hui cet article dans son intégralité, nous vous invitons à soutenir Le Monde Diplomatique, le journal qui l’a initialement publié. N’hésitez pas à vous y abonner !


Qui est Eugénie Mérieau ?

On se lasse de tout, excepté d’apprendre ! Nul doute qu’Eugénie Mérieau s’est fait sienne cette devise chère à Virgile. Elle est en effet au bénéfice d’une triple formation universitaire : en sciences politiques (Sciences-Po), en droit (Sorbonne) et en langues et civilisations orientales (Inalco).

Sa thèse de doctorat trahit ses excellentes connaissance du royaume de Thaïlande : Le constitutionnalisme thaïlandais et les transplantations juridiques : une étude de la royauté. Un travail honoré du Prix Varenne de thèse 2018 (Démocratisation) de la fondation Varenne, ainsi que du prix honorifique Levy-Ulmann (Droit et Sciences politiques) 2018 de la Chancellerie des universités de Paris. Une thèse traduite en langue anglaise et qui le sera même en thaï l’année prochaine.

Après quoi elle a rejoint la chaire de constitutionnalisme comparé à l’université de Göttingen, en Allemagne. Chercheure invitée post-doctorale à l’Institut pour le droit et la politique mondiale (IGLP, faculté de droit de Harvard), elle est actuellement boursière post-doctorale au Centre for Asian Legal Studies (CALS, NUS – Université nationale de Singapour).

Elle a aussi enseigné à l’université Thammasat, à Bangkok. Le Dr Eugénie Mérieau est également chercheure associée au Centre de recherche internationale de Sciences Po Paris, à l’Institut d’Asie orientale de l’ENS Lyon et à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine de l’IRASEC, à Bangkok (tous trois dépendant du Centre national de la recherche scientifique, CNRS).

Vous aurez deviné à travers son analyse que parallèlement à sa carrière universitaire, elle participe également à des activités de défense des droits de l’homme.

Parlant le thaï, elle a également animé une émission sur la chaîne Voice TV, Diva Cafe. À Bangkok, on se souvient encore des concerts qu’elle a donnés sous le nom de Blue Randôme.

Cette experte de la Thaïlande est régulièrement interviewée sur ce pays qu’elle affectionne. Ainsi, vous pouvez revoir l’entretien accordé à l’excellent média indépendant Asialyst, Le populisme de Thaksin Shinawatra où elle rappelle que « Thaksin reste l’homme qui divise la Thaïlande » :

Précédemment, RFI avait consacré un débat entre Eugénie Mérieau et Hughes Tertrais. Sous la conduite de la journaliste Marie-France Chatin, la politologue et l’historien répondait tous deux à la question « Où va la Thaïlande ? ». C’était à l’occasion des élections législatives du 24 mars 2019 en Thaïlande, les premières depuis le coup d’Etat du 22 mai 2014 qui a placé le pays et ses 69 millions d’habitants sous la poigne des généraux. Écoutez donc le podcast de l’émission.

In fine et toujours sur RFI, Eugénie Mérieau est revenue sur les origines des manifestations. Un utile complément radiophonique à son article reproduit ci-dessus que vous pouvez écouter sur YouTube. Cette fine connaisseuse du royaume de Thaïlande peut aussi être écoutée sur France Culture où elle a participé à plusieurs émissions.

Si l’analyse d’Eugénie Mérieau vous a passionné.e, lisez alors son article de fond Comprendre l’instabilité politique thaïlandaise : constitutionnalisme et coups d’État, paru dans la revue Politique Étrangère il y a 7 ans.

Retrouvez Eugénie Mérieau
➥ sur son site web
➥ et sur sa page Facebook

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Un regard complémentaire, celui d’Apichatpong

Apichatpong Weerasethakul by ChiuYun – © Facebook – Kinoimages.com

Vous avez sans doute déjà entendu parler du réalisateur Apichatpong Weerasethakul, Palme d’Or à Cannes en 2010 pour son film Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Il vit à Chiang Mai et met la dernière main à son prochain film, Memoria. En 2016, Apichatpong « Joe » avait d’ailleurs fait l’objet d’une rétrospective multimédia (The Serenity of Madness – Sérénité de la folie) – à l’occasion de l’ouverture du MAIIAM, un musée d’art contemporain de classe internationale sis à Sankhampaeng, à l’est de Chiang Mai.

L’interview que nous offre Télérama nous permet de saisir les changements profonds que soulève la contestation estudiantine de la jeunesse thaïlandaise. Apichatpong se pose en observateur – et soutien – du processus de désobéissance en cours. Il note que les étudiants bousculent de manière inédite une société bouddhiste très hiérarchisée, remettant en cause les liens entre les grandes familles, la richesse et le pouvoir, en parlant de sujets tabous. Et ce n’est pas du cinéma !

C’est le genre de lecture qui nous permet de mieux comprendre le processus sociétal en cours. Lisez donc son interview sur Télérama.

Les étudiants thaïlandais face au triangle Armée-Constitution-Royauté
C’est là une autre intervention académique dont nous conseillons la lecture. Composée en été 2020, avant les grands rassemblement du quatrième trimestre, c’est le fruit d’une réflexion proposée par Mme Marie-Sybille de Vienne, professeur à l’ Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

Elle y rappelle notamment la proposition en dix points de réforme de l’institution royale rendue publique le 10 août 2020 par l’United Front of Thammasat and Demonstration (inconnu jusqu’alors; leur page Facebook). Formulée à Bangkok durant une manifestation publique par Rung :

1. La révocation de l’article 6 de la Constitution de 2017, qui rappelle la position de vénération dans laquelle doit être tenu le souverain;
2. La révocation de l’article 112 du code pénal relatif au crime de lèse-majesté;
3. La révocation du Crown Property Act de 2018, libérant le Crown Property Bureau (CPB) de la tutelle du ministère des Finances et faisant de ses actifs la propriété du roi (et non plus de la Couronne), au titre de sa fonction;
4. L’établissement de l’allocation budgétaire du souverain en fonction du contexte économique;
5. La suppression des agences sous commandement du roi;
6. La suppression des dons des et aux fondations royales;
7. L’abolition de l’inviolabilité du souverain (article 6);
8- L’arrêt de la célébration de la monarchie dans les administrations publiques et l’éducation;
9. L’ouverture d’une enquête sur les morts de personnes ayant critiqué ou ayant eu des relations avec la Couronne;
10. Le non-entérinement des coups d’État par le roi.

Retrouvez l’article complet en lecture gratuite sur le site The Conversation (à soutenir donc).


ARTE Regards – Vers un printemps thaïlandais ?

L’on vous propose bien à propos ce reportage diffusé sur Arte et visible jusqu’au 3 février 2021.

En voici la présentation : Ils sont des dizaines à avoir quitté leur pays sous peine d’être emprisonnés ou assassinés. Depuis le coup d’État de 2014, un nombre grandissant de Thaïlandais dissidents sont contraints à l’exil alors que le pays s’enfonce dans une dictature militaire. Qu’ils vivent à Paris, à Berlin ou Helsinki, ils sont toujours régulièrement menacés de mort.

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Manifestations au fil de l’année 2020…

À travers notre page Facebook, nous vous avons régulièrement tenu informé.e des manifestations organisées tant à Chiang Mai qu’à Bangkok, et ailleurs encore. Retour en arrière avec quelques publications (d’utiles compléments se trouvent dans les commentaires de chacune d’elles) :
06.03.2020 : une des premières flash mob organisée à la CMU (l’Université de Chiang Mai)
18.07.2020 : en direct de Bangkok où des milliers de manifestants s’étaient alors réunis, en plein état d’urgence (une vidéo supprimée entre-temps mais un extrait est encore visible ici) !
20.07.2020 : la manifestation organisée en écho ici à Chiang Mai, porte Thapae
25.07.2020 : malgré la prolongation de l’état d’urgence, les aspirations démocratiques de la jeunesse du royaume ne tarissent pas
16.08.2020 : les manifestations continues de plus belle à Bangkok
19.09.2020 : le 19 septembre, jour ô combien symbolique, est le jour qui a été fixé pour une nouvelle manifestation de grande ampleur : une journée de mobilisation à l’université Thammasat, à Bangkok, lieu de sinistre mémoire…
14.10.2020 : autre grande manifestation antigouvernementale à Bangkok en cette Journée de la Démocratie
16.10.2020 : nouvel affront pour Prayut à Bangkok
17.11.2020 : et Chiang Mai qui continue de répondre par de nouvelles manifestations
17.11.2020 : le choc des photos alors que la répression policière envers les manifestants se durcit

Et l’année 2021 voit continuer ces manifestations en Thaïlande ! Sans parler du putsch opéré début février par les militaires de Birmanie, un coup d’état contesté dans la rue. Alors que Hong Kong voit sa démocratie se mourir…

Des modes d’action novateurs au geste aux trois doigts levés, les mouvements prodémocratie de l’Asie du Sud-Est s’inspirent les uns des autres, malgré des motivations différentes à leur origine. Lisez l’analyse de Carol Isoux qu’a publiée Libération : À Rangoun, Hongkong et Bangkok, les méthodes s’assimilent.


Loi sur le crime de lèse-majesté

Bien qu’elle soit décriée, c’est sur la base de cette loi qu’une Thaïlandaise a été condamnée cette semaine à pas moins de 43 ans de prison pour avoir insulté la famille royale, la plus lourde peine jamais enregistrée dans le royaume pour crime de lèse-majesté. Prénommée Anchan, cette fonctionnaire de 63 ans était naguère proche du réseau DJ Banpodj, un podcast politique qui s’en prenait à la monarchie. Son principal instigateur, Hassadin U., 64 ans, a d’ailleurs été condamné à 20 ans de prison. En 2017, un homme avait été condamné à 35 ans d’emprisonnement pour une série de publications et de commentaires sur Facebook. Dans un reportage radio, RTS Info revient sur le dernier de ces tristes dénouements judiciaires.

Comme nous l’a rappelé Eugénie Mérieau, l’abolition de cet article pénal est l’une des principales revendications du mouvement mené par la jeunesse protestataire. 

Article 112. Quiconque diffame, insulte ou menace le roi, la reine, le prince héritier ou le régent, est puni d’un emprisonnement de trois à quinze ans.

C’est précisément cet article du Code pénal thaïlandais que les jeunes, et avec eux les organisations de défense des droits humains, veulent voir être aboli.

Les étudiants ne sont pas les seuls à dénoncer l’iniquité de cette loi. Beaucoup d’ONG constatent que le gouvernement abuse de l’article 112 afin de limiter la liberté d’expression, un droit de l’homme inaliénable. Le rapport annuel d’Amnesty International sur la Thaïlande le mentionne à chaque fois. Et Amnesty de regretter que la Thaïlande soit toujours un État non abolitionniste pour ce qui a trait à la peine de mort, toujours inscrite dans la législation du pays (voir l’extrait du Code pénal ci-dessous).

L’ONG Thai Lawyers for Human Rights (TLHR) – qui a défendu Anchan – nous rappelle que l’article 112 du Code pénal thaïlandais (« lèse-majesté ») avait été suspendu près de 2 ans – à la demande de S.M. le roi Vajiralongkorn – depuis sa dernière application en 2018. Un article appliqué à nouveau afin de poursuivre les manifestants, les utilisateurs en ligne et tout individu dont les paroles et les actes sont considérés comme une diffamation envers la famille royale thaïlandaise.

Thai Lawyers a d’ailleurs dressé une liste précise des dénonciations pénales en lien avec cet article controversé : du 24 novembre au 17 décembre 2020, au moins 33 individus dans 20 procès ont été accusés de « lèse-majesté ». Parmi ces personnes figurent un mineur et des étudiants universitaires. Pour prendre réellement conscience des abus possibles de la part des autorités, sachez que parmi ces cas, la publication sur Facebook du message « Très courageux. Très bien. Merci » a été considéré comme une diffamation royale !

Dernière citoyenne à faire les frais de la loi de lèse-majesté, Amarat Chokepamitkul, députée de l’opposition (du parti Move Forward).

L’exposition « 112 the Exhibition » à Bangkok dénonce subtilement les abus du pouvoir en matière de lèse-majesté en Thaïlande. Elle est le fruit de l’artiste de rue thaïlandais connu sous le nom de « Headache Stencil ». Le Petit journal vous en parle.

Extrait du Code pénal thaïlandais (traduction libre) :

Infractions relatives à la sûreté du royaume
Chapitre 1 – Infractions contre le roi, la reine, le prince héritier et le régent

Article 107. Quiconque, assassinant le roi à mort, est puni de mort. Quiconque tentera de commettre l’acte susmentionné sera puni de la même manière. Quiconque, faisant un acte quelconque en vue de préparer l’assassinat du roi ou sachant qu’il y a la personne qui va assassiner le roi, ayant fait un acte quelconque pour aider à garder l’acte secret, sera puni de la prison à vie.

Article 108. Quiconque, commettant un acte de violence contre le roi ou sa liberté, sera puni de la peine de mort ou de la réclusion à perpétuité. Quiconque tente de commettre une telle infraction est passible de la même peine. Si cet acte est susceptible de mettre sa vie en danger, l’auteur sera puni de la peine de mort. Quiconque se prépare à commettre un acte de violence contre le roi ou sa liberté, ou accomplit un acte quelconque pour aider à garder le secret sur l’intention de commettre un tel délit, sera puni d’une peine d’emprisonnement de seize à vingt ans.

Article 109. Quiconque cause la mort de la reine, du prince héritier ou du régent est puni de mort. Quiconque tente de commettre un tel délit est passible de la même peine. Quiconque prépare la mort de la reine, du prince héritier ou du régent, ou accomplit tout acte pour aider à garder le secret sur l’intention de commettre un tel délit, sera puni d’une peine d’emprisonnement de douze à vingt ans.

Article 110. Quiconque commet un acte de violence contre la reine ou sa liberté, le prince héritier ou sa liberté, ou le régent ou sa liberté, est puni d’un emprisonnement à vie ou d’un emprisonnement de seize à vingt ans. Quiconque tente de commettre une telle infraction est passible de la même peine.
Si cet acte est susceptible de mettre en danger la vie de la reine, du prince héritier ou du régent, l’auteur de l’infraction sera puni de la peine de mort ou d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Quiconque se prépare à commettre un acte de violence contre la reine ou sa liberté, le prince héritier ou sa liberté, ou le régent ou sa liberté, ou accomplit tout acte pour aider à garder secret l’intention de commettre un tel délit, sera puni d’une peine d’emprisonnement de douze à vingt ans.

Article 111. Quiconque apporte son soutien à la commission d’une infraction visée aux articles 107 à 110 est puni de la même manière que le responsable de cette infraction.

Article 112. Quiconque diffame, insulte ou menace le roi, la reine, le prince héritier ou le régent, est puni d’un emprisonnement de trois à quinze ans.

ThailandLawOnline – Criminal code B.E. 2499

Épine dans le pied du pouvoir thaïlandais en ce début d’année 2021, le populaire militant Arnon a été nommé comme l’un des leaders émergents du monde par le magazine TIME (TIME100 next 2021).

Le magazine américain relève qu’Arnon Nampa a un comportement modeste et un penchant pour s’habiller comme Harry Potter. Ce qui n’empêche pas cet avocat des droits de l’homme de faire trembler l’establishment de son pays. La Thaïlande est le plus ancien allié des États-Unis en Asie et a servi de rempart contre des voisins plus autoritaires, mais sa démocratie s’est érodée au fur et à mesure que les liens avec la Chine s’épanouissaient. Arnon a donné de l’énergie aux jeunes Thaïlandais en réclamant que le pouvoir politique soit retiré à la sacro-sainte famille royale et que la constitution rédigée par les militaires soit mise en pièces. En conséquence, il a été arrêté à trois reprises ces derniers mois et accusé de sédition (à l’heure où nous écrivons, il est encore incarcéré). Mais alors que le Covid-19 continue d’avoir un impact sur l’économie thaïlandaise qui dépend du tourisme, de plus en plus de jeunes se sont joints aux manifestations qui sont déjà les plus importantes depuis le coup d’état de 2014 – qui, selon les experts, met la pression sur le gouvernement militaire. « Les gens en ont assez de vivre sous un régime répressif », a-t-il déclaré au TIME à la fin de l’année dernière.

Découvrez le reportage que lui consacre le TIME (avec une vidéo à la clef).

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Mieux comprendre la Thaïlande

Si la Thaïlande vous attire, la lecture vous donnera les clefs pour mieux comprendre ce pays et ses habitants. Eugénie Mérieau écrit beaucoup sur la Thaïlande.

Nous vous avons déjà parlé de sa thèse de doctorat qui n’intéressera cependant pas celles et ceux attirés par les seules jouissances balnéaires qu’offre le pays ! Une thèse que vous pouvez acheter en version brochée ou alors lire gratuitement en version électronique.

Outre ce travail académique, nous avons sélectionné deux ouvrages qui devraient intéresser toute personne désirant voyager intelligemment au Pays du Sourire. N’hésitez pas à les commander chez votre libraire préféré (les liens renvoient à leur présentation sur Amazon).

Idées reçues sur la Thaïlande
Eugénie Mérieau

Souvent plus connue pour ses plages et son tourisme sexuel, la Thaïlande peine à se débarrasser des clichés, souvent sulfureux, qu’on lui accole : Triangle d’or et plaque tournante de la drogue, paradis des lesbiennes, gays et transgenres, royaume d’opérette, et, sur le terrain économique, le fameux Tigre asiatique ! Précis, concis et très documenté, cet ouvrage est une excellente introduction à ce pays, son histoire et ses habitants. Le meilleur moyen de dépasser ses idées reçues !

Commandez-le chez votre libraire préféré ou sur Amazon.

Les Thaïlandais. Lignes de vie d’un peuple
Eugénie Mérieau

Terre de paradoxes assumés, la Thaïlande, Pays du Sourire, se rit des contradictions qui la fondent comme elle se joue des contrastes qui l’habillent. Lors de son arrivée au royaume de Thaïlande, tout voyageur est frappé de constater l’apparente liberté dont jouissent les Thaïlandais – pourtant sous le joug d’une dictature militaire. Mais derrière son vernis pastel de carte postale se découvre la réalité de la misère, des bordels et de la corruption. Autour de Bangkok, la mégalopole folle, la Thaïlande rurale continue à cultiver ses rizières en escalier. Ces deux Thaïlande qui se font face, l’une rurale, l’autre urbaine, n’en sont pas moins unies par un impétueux sentiment national : la khwampenthai (la « thaïtude ») définit les contours de l’identité nationale grâce au motto Nation, Religion, Monarchie. 
Ministre, féministe, chauffeur de taxi ou révolutionnaire…, ils nous racontent ici leur vie, leur Thaïlande.

Éric Deseut nous parle de cet essai convainquant dans Le Petit Journal. Quant à Bernard Formoso, autre grand spécialiste de la Thaïlande et plus généralement de l’Asie, il se montre plus circonspect dans sa critique.

Commandez cet ouvrage chez votre libraire préféré ou sur Amazon.

Depuis la fin de l’année dernière, les jeunes contestataires ont mis un frein à leurs manifestations publiques de grande ampleur. Néanmoins, le mouvement continue de bouillonner, quelque peu réfréné par la récente flambée de contaminations dans le cadre de la pandémie sanitaire autour de la capitale (un sujet qui accapare les esprits en raison du bombardement médiatique quotidien alors que d’autres fléaux sanitaires continuent leurs ravages, en sourdine, à l’image du SIDA, du tabac ou encore de la dengue, sans parler des accidents de la circulation).

Si vous êtes arrivé.e jusqu’au terme de cet article, c’est que la Thaïlande vous intéresse vraiment. À travers les lectures que nous vous proposons, vous serez alors armé.e d’un regard critique bienvenu vous permettant d’aller au-delà de l’image idyllique véhiculée par l’Office du tourisme. Et sans doute que vous apprécierez alors d’autant plus ce pays fascinant aux multiples facettes, certaines peu reluisantes, il est vrai. Bienvenue en Thaïlande !


1 Une analyse publiée avec la fort aimable autorisation de son auteure que nous remercions encore une fois ici 🙏
Nous de disposons hélas pas des notes de bas de page de l’article original; veuillez nous en excuser. Nous sommes par ailleurs responsables du choix des illustrations qui accompagnent le texte.

Source de l’image à la une © Facebook – PPTV HD 36 (il s’agit d’une photo d’une manifestation tenue devant le ministère thaïlandais de l’Éducation, à Bangkok, le 16 janvier 2021, à l’occasion de la Journée des Enseignants).
Article composé le 20.01.2021 et mis à jour le 02.03.2021

Dimanche 20 décembre 2020, jour d’élections en Thaïlande 🗳

On vous rappelle que ce dimanche 20 décembre 2020 est un jour d’élection en Thaïlande.

Pour vous, en tant que touriste – denrée rare en ce moment – ou expatrié, cela signifie concrètement

  1. Que vous ne pourrez officiellement acquérir de l’alcool jusqu’à ce dimanche soir, 18h. On vous en a déjà parlé hier dans notre publication Facebook.
  2. Que vous ne pourrez vous balader au marché piétonnier ce soir puisqu’il a été annulé ! On parle donc du fameux Sunday Walking Street Night Market (source).

Dans cette vidéo explicative de Voice TV, derrière le dynamique présentateur, Joe Chonlawiton, on reconnaît la porte Thapae ici à Chiang Mai :

Si vous désirez savoir ce qu’est concrètement une journée d’élection, visionnez donc cette vidéo filmée en direct ce matin à Chiang Dao, une réalisation de la chaîne étatique PRD3.

Vous pouvez également regarder ce court reportage du média The North pour imaginer ce qu’est la démocratie à la sauce thaïlandaise.

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Ce sont là les premières élections locales depuis 6 ans, la démocratie siamoise ayant pris fin par un énième coup d’état miliaire en 2014 ! Celui qui a fomenté ce putsch n’est autre que Prayut Chan-o-cha, général de son état, l’actuel Premier ministre élu (une élection contestée par ses opposants).

Il sera intéressant de se pencher sur le taux de participation alors que le pays vit non seulement une crise économique sans précédent mais fait face à une contestation de sa jeunesse estudiantine depuis plusieurs mois maintenant. Beaucoup de jeunes auront la possibilité de s’exprimer pour la première fois de leur existence.

À l’exception de Bangkok et Pattaya, ces élections touchent l’ensemble du pays. Il s’agit d’élire des représentants locaux, fruit d’un processus de décentralisation. Seront donc élus des « directeurs généraux » des organisations administratives provinciales (PAO) et les membres des conseils de ces PAO. 335 candidats se bousculent pour prendre la direction des 76 PAO en jeu et 8 186 sont candidats aux sièges de ces conseils.

Ces organisations administratives provinciales auront un impact sur le quotidien des Thaïlandais – et des expatriés qui n’ont pas leur mot à dire – puisque les PAO géreront des services publics touchant à la construction des routes, des ponts, des systèmes d’égouts et d’électricité. Elles sont également chargées de maintenir l’ordre, de promouvoir le tourisme, de préserver les ressources naturelles et de soutenir l’éducation et la culture. Cela grâce à des taxes qu’elles perçoivent (essence, tabac, véhicules à moteur, taxes hôtelières…). Vous avez bien plus de détails dans cet article fort complet du Bangkok Post. Un quotidien qui nous rappelle d’ailleurs que les affrontements politiques seront plus marqués dans certaines régions.

Et lorsque l’on parle d’élections en Thaïlande, l’ombre du Premier ministre déchu Thaksin Shinawatra, un natif de Chiang Mai, plane… Ainsi, la commission électorale examinera une plainte selon laquelle Thaksin exercerait une influence sur le parti politique Pheu Thai – « les rouges » – en appelant au soutien public du candidat du parti à la présidence de la PAO de Chiang Mai lors des élections de ce dimanche. Tout est développé dans cet article en anglais du Thai Examiner.

En attendant, la campagne du candidat du Pheu Thai battait son plein. Pichai Lertpongadisorn, dont le véritable nom est Chuchai Lertpongadisorn est, entre autres, le président du club de foot de la ville, le Chiangmai United. Nous voulions vous transmettre la page Facebook de ce candidat très populaire mais elle vient d’être bloquée ! S’agit-il d’un problème technique momentanée, d’une censure de Facebook (chose que nous doutons) ou plus vraisemblablement d’une censure de la junte au pouvoir ? L’affaire est à suivre.

Cependant, il vous sera dès lors impossible d’accéder à la vidéo d’un meeting électoral à Mae Jo par exemple, ou encore aux photos d’une réunion politique organisée dans la campagne peuplée de beaucoup de minorités ethniques.

Retrouvez le Bureau de la Commission électorale de Thaïlande
➥ sur le web : la version anglaise est loin d’être mise à jour, contrairement à la version thaï du site, bien plus fournie
➥ et sur Facebook, une page alimentée plus que quotidiennement

iLaw est une organisation juridique progressiste qui milite tant pour les avancées démocratiques que la défense des droits de l’homme. On les retrouve sur leur page Facebook, eux qui suivent bien entendu ces élections très attentivement.

iLaw, avec le soutien de la Confédération helvétique (la Suisse donc), a mis sur pied un site web qui contrôle le processus électoral et qui dévoilera les résultats par province : Vote62 (tout est en thaï).

On vous souhaite un bon dimanche en ce jour électoral. Non sans vous enjoindre de regarder le clip vidéo officiel qui est plutôt plaisant.

#élections #Thaïlande #démocratie



Source de l’image à la une © Facebook
Article composé le 20.12.2020